Et puis, tout à coup je songe à cet homme revu hier soir, après 40 ans d’absence. Je suis dans ma salle
de bains, je me lave les mains. Je repense à ce monstre froid si différent de
celui que j’avais aimé autrefois et gardé au fond de moi comme un joyau. Une
belle relation... avec un goût d’inachevé. Cet être doux, gentil et protecteur
l’était-il vraiment ? La vie l’avait-elle sculpté autrement ? Le
naturel l’avait-il emporté, avec l’âge, vers la perversité, le cynisme, le
mépris de l’autre, l’absence de morale ? Qui était-il cet enfant de vingt
ans dont j’avais gardé le souvenir ? Beau comme un dieu sorti de
l’Atlantide, grand, mince, brun, le teint mat, des yeux immenses, couleur
turquoise. Qui était-il cet homme encore non construit qui parlait d’une voix
suave ? Qu’en avait fait la vie ? Et lui, qu’avait-il fait de la
sienne ?
Triste ou en colère je
ne sais, mais avec un goût amer dans la bouche, je tire mon petit miroir de mon
sac, celui que j’aime particulièrement et dont le couvercle laqué est la
reproduction d’une femme peinte par Renoir. Il est joli, précieux, il
m’accompagne depuis des années. Il fait partie de moi, des
choses dont jamais je ne me sépare. Il me tombe méchamment des mains et
s’écrase par terre, fermé. Avant de le rouvrir, je l’espère intact et protégé
par sa fermeture, je tremble. Je l’ouvre. Une des faces du miroir s’est
craquelée, nervurée en retraçant la majuscule de son prénom A. J’y vois un
signe. A est brisé. Il s’est brisé. Ce n’est pas moi qui l’ai brisé. Il s'est brisé
jusqu’à effacer le beau souvenir que j’avais gardé de lui. C’est ainsi …et la vie
nous réserve décidément de bien curieuses surprises.
Paris
le 11 août 2009
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