La
folie des hommes
L’orage monte en cette fin de journée
d’été. Il fait une chaleur torride.
Paris est figé dans une torpeur qui ne lui sied guère. L’air est
immobile, le ciel a disparu sous une épaisse couche de nuages jaunâtres. La
ville est quasi déserte. Elle est sous une bulle artificielle comme un mourant
sous perfusion. Seuls, les fracassés de la vie traînent encore dans les rues. Assis
sur des bancs ou allongés dans des encoignures de portes, ils sont de ceux qui
ne repartent jamais plus de là où le destin les a frappés. Alcooliques, fous déments,
mendiants, gitans, drogués, ce sont les sans domicile, les sans famille, les sans
ressources, les abandonnés. Ces fatigués de la vie passent leurs vacances d’été
sur les trottoirs de la ville, juste le temps d’humer l’air avant de repartir
dans leurs prisons intérieures et leurs délires. Mais le fond de l’air est
vicié ce soir et les bruits sont assourdis. L’attente est pesante. Qu’attend-on
au juste ? Qu’on en finisse une bonne fois pour toutes, avec ce monde agonisant ?
De cette terre qui semble ne plus rien pouvoir nous donner tant nous l’avons
dépouillé de ses richesses, de ses beautés, de ses mystères. Et pourtant, elle
trouve encore ça et là, la force de se révolter, de s’indigner, d’ensevelir, de
renaître comme pour purifier.
Ridicule, absurde folie des
hommes. Le monde marche à l’envers. On a poussé la raison humaine jusque dans
ses derniers retranchements. L’intelligence, le simple bon sens, la générosité,
l’amour des hommes envers leurs semblables, la solidarité, le partage, la
simplicité, le courage deviennent des abstractions indéchiffrables. Le cerveau
reptilien des humains l’a définitivement emporté. Nous basculons de jour en jour un peu plus
dans l’infra humain. Les petits d’hommes ne parlent plus, ils poussent des
hurlements stridents. On dirait des cochons qu’on égorge. Ils n’entendent déjà
plus les mots doux du langage humain, si rarement prononcés. Les parents n’ont
plus le temps de les éduquer. Ces enfants pleurent et crient en signe de
protestation pour couvrir les bruits d’un monde dont ils refusent l’inhumanité
qu’on leur impose de force. Leurs parents leur apprennent à crier plus fort
qu’eux et à couvrir la voix de leurs semblables. Tout silence est devenu inquiétant,
assourdissant d’intériorités ravageuses, d’égos pervers, de mal d’être, de
haines, de jalousies, de violences, de revanches indicibles, d’angoisses
existentielles. Les hommes de ce siècle se pensent invincibles, immortels,
omnipotents. C’est trop dur de penser que nous ne sommes pas sur cette terre
pour toujours n’est ce pas ? Cela demande du courage de penser que
peut être des forces, au dessus de nous, conduisent nos âmes, nos consciences
vers la perfection et nous appellent à plus d’humilité.
Je monte les escaliers
lourdement car mes jambes sont de plomb et je respire difficilement. Je repense
à cette dernière rencontre prometteuse et pourtant ratée, à la confrontation
avec un passé douloureux, à mon enfance, à l’adolescence abîmée d’une jeune
fille triste et timide qui avait si peur de vivre et si peur des adultes. Je
repense aux tentations suicidaires, aux désirs qui emportent loin, puis à la révolte, face aux pièges que le destin nous
tend. Mais c’est dit, il faut
encore l’apprivoiser, la dompter cette chienne de vie !!! Oui il
faut y parvenir à la force des poings serrés. Jamais ne baisser la garde. Ne jamais
accepter de voir quelqu’un souffrir sans rien faire. Ne plus jamais supporter d’entendre
un enfant pleurer. Et puis, surtout, apprendre à s’adoucir, à s’accepter, à aimer, à comprendre,
à pardonner, au-delà tout. Or de là, aucune issue, si ce n’est fuir, courir
droit devant soit sans réfléchir, courir à en perdre haleine jusqu’à s’exploser
la tête contre le mur d’en face, celui de la folie des hommes d’aujourd’hui. La
folie de tous ceux qui ont perdu le sens du sacré, de la poésie, du beau, de
l’harmonie, de la perfection, de l’élévation en somme qui nous met au dessus du
règne animal, végétal et minéral et nous appelle à renouer avec notre nature
divine et lumineuse.
Paris le 11 août 2009
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