Et
depuis, Marie rencontre Anatole une fois par mois à la « cabane
bambou ». Ils y déjeunent tout en échangeant les dernières nouvelles.
Etudiant à l’Institut des Langues orientales en même temps que Marie, avant la
révolution de 68, Anatole est devenu un éminent spécialiste de l’Afrique de
l’est où il fait des séjours relativement souvent. Marié, père et grand père il
se raconte non sans saveur et, Marie le retrouve toujours avec un grand
plaisir. Bien qu’encore timide et rougissant comme un adolescent, il amuse la
galerie tant il est drôle et spirituel, cultivé aussi et très agréable. Amical
surtout et fidèle. Marie aime le cérémonial de leurs rencontres mensuelles à la
« cabane bambou ». Elle ne manquerait pour rien un de leurs rendez
vous et quand l’hiver s’allonge et qu’Anatole disparaît, elle sait qu’il est en
hibernation et qu’il va ressurgir aux beaux jours. Alors ils bavardent à
nouveau sur le monde, la société et parlent des joies et souffrances de leurs
existences quotidiennes. Toujours de bonne humeur, ils rient à gorges
déployées. Ils rivalisent de bons mots et les histoires d’Anatole sont toujours
savoureuses. Son humour est sans faille. A la cabane bambou on y croise aussi
l’ex-futur président de la république avec sa dame à vélo. Ils y déjeunent en
toute simplicité et en toute discrétion. Parfois ils sont accompagnés de leurs
enfants ou de rares intimes. Le sérieux s’impose et le rire ne semble pas au
rendez vous. Anatole s’esclaffe : « heureusement qu’il a raté la présidence celui là, sinon c’eût été un
quinquennat bien sévère et rigoriste ». Anatole et Marie se marrent en
douce, toujours prêts à « mettre le feu » à la cabane
bambou. Dès qu’ils arrivent ils sont aussitôt repérés par les serveurs et tout
s’y déroule dans la joie et se termine dans d’immenses éclats de rires. La vie
vaut toujours qu’on rempile après deux ou trois heures passées là ensemble sous
la ramure, à refaire le monde et surtout à le raconter, à leur manière. Alors,
tous les tracas de la vie s’éloignent jusqu’au moment où l’un et l’autre se
disent au revoir et à la prochaine fois. Sans jamais savoir s’ils se reverront,
car ils savent que pour eux le temps s’accélère et que le corps peut les
trahir. Anatole a eu un infarctus …
hospitalisation … silence prolongé…puis, à nouveau sa voix et son rire au bout
du téléphone de l’hôpital parisien où il était en observation. Le sursis
accordé à la vie. Dire qu’il a bien failli nous tirer sa révérence l’ami
Anatole !! Il plaisante à nouveau, beaucoup, et sa gaieté redonne le ton
et le goût de vivre. Il y a l’amitié solide, l’amour fort aussi pour cette autre femme qui l’accompagne dans
la vie. Les plaisirs de la table, ses escapades dans les capitales européennes
puis, ses longs voyages en solitaire dans des contrées lointaines d’Afrique, ses
séjours en famille dans une île paradisiaque qui lui tient lieu de villégiature
et puis, toujours, leurs rencontres au jardin du Luxembourg. Ensuite, chacun
repart vers sa vie en se demandant s’il y aura une prochaine fois, sans
tristesse car Marie et Anatole croient, ils croient que ce morceau d’existence
terrestre se prolonge ailleurs, ils croient à autre chose après. C’est leur
force, leur espoir, leur joie. L’Après.
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